« And if the birds are just all the words flying along, singing a song, what would they do ? If they just knew what they could do. »
Leigh avait une vie assez simple depuis qu’il avait quitté l’armée. Enfin, c’est lui qui dirait ça. Elle serait simple si les combats de rue qui lui vaut de sales hématomes sur le corps, n’était pas toujours un peu plus habituels. Chaque être humain a ses démons, Leigh c’est le besoin de vider ses nerfs sur quelque chose, ou plutôt, quelqu’un. Même si ce genre de combat était illégale, il ne le faisait que contre des gens de son gabarit, pleinement conscient des risques et qui le font souvent pour les mêmes raisons que lui. Il évitait l’alcool, il évitait tout ça, parce qu’il savait qu’il y tomberait assez facilement. Noyer son chagrin, c’est si facile de céder à cette douce tentation. Mais le médium tenait fermement et il s’occupait suffisamment pour ne pas se noyer dans des idées pareilles. Bien qu’aujourd’hui, le restaurant était fermé et tant mieux pour lui. Le combat de la veille au soir l’avait particulièrement fatigué. L’énorme bleu sur ses cotes en sont simplement des restes. Son corps était trop difficile à traîner et être penché sur un comptoir à cuisiner… Autant dire qu’il aurait morflé.
Il a alors passé une partie de sa mâtiné à errer dans la maison, à monter des meubles qui attendaient depuis des mois. Toujours dans le but de ne penser à rien. Mais quand la douleur était trop intense il s’était arrêté. Bien trop nerveux pour juste se poser à lire un livre ou regarder on ne sait quelle connerie à la télé, il avait besoin d’être occupé. Heureusement que l’après-midi, il comptait ouvrir son salon qui lui servait de lieu pour son rôle de médium, ça l’occuperait au moins. Il n’avait pas énormément de « client », Leigh. Il ne faisait ça que par volontariat et n’en tirait aucun profit. Il ne voyait pas l’intérêt de gagner de l’argent sur le dos de personne endeuillé. Il ne faisait aussi rarement d’invocation ou ce genre de chose. Il était plus dans l’aide, pour ceux qui avaient besoin d’un contact avec leur proche décédé, d’avoir une sorte de conclusion qu’ils n’ont pas pu avoir avant leur mort, ce genre de chose.
Leigh n’était pas du tout un « pro-vie », ni un « pro-revenant ». Il était plus nuancé que ça à ce sujet. Lui pense qu’il faut surtout, une notion de consentement, qui manque encore cruellement. On ne devrait pas faire revenir quelqu’un sans qu’il ait exprimé qu’il n’était pas contre cette possibilité avant sa mort. La vie éternelle n’est pas si bonne que ça, la vie n’aurait plus de sens autrement. Donc Leigh évitait de trop le faire. Il ne l’a pas fait avec sa femme, car c’était son choix et il le respectait. Pour lui, il fallait juste plus de clarté, de limite et d’ordre. Ce qui n’est pas vraiment le cas aujourd’hui malgré les lois protégeant les fantômes. Il n’y en avait pas assez pour les morts ni les vivants si on lui demandait son avis. Les gens manquent juste… de nuance. Le noir et le blanc, ça ne marche jamais. Il n’y a pas de gentil et de méchant. Ce n’est jamais bon et ça a des conséquences terribles.
Il l’a vu le triste résultat de conviction trop extrême, de celle qui brise un Homme, de celle qui détruit l’équilibre. Leigh était tombé sur quelqu’un de brisé, en pleine crise de panique dans la rue. Il aurait pu l’ignorer comme la majorité des gens qui passaient par là, mais il n’était pas ce genre de personne. Darren était un médium mais qui… a subi les conséquences de ces fameux extrêmes. Il n’a pas appris à gérer son don, il a appris à simplement le rejeter.
Terminant avec un jeune homme, il ferma finalement les portes, indiquant alors qu’il n’accueillait plus personne. Il avait quelqu’un a allé voir. Car depuis, il ne peut laisser Darren contre tous ces démons, il le voyait se noyer. Il se devait de le sauver. Maintenant qu’il connaissait sa détresse, il ne pouvait pas le laisser pourrir sur le bord de la route. Il avait d’abord appelé chez lui, tombant directement sur son répondeur, il avait malheureusement une petite idée d’où il pouvait se trouver. Il est parti boire. Ce poison dans lequel il se noie. Ils n’en ont jamais réellement parlé mais Leigh n’était pas aveugle. Donc il prit sa moto et roula jusqu’au bar où il allait le plus souvent. Et à peine il avait passé la porte qu’il avait la confirmation, il était avachi sur le comptoir. Le blond soupire à cette triste vue et va directement s’asseoir à coté de lui sans s’annoncer. Il commande deux cafés et attrape le verre de Darren pour le boire d’une traite sous son nez. « Ca suffit pour aujourd’hui, Darren. » qu’il lui annonce alors, son regard bleu se plongeant dans le sien. Il pourrait se rebeller, Leigh ne cèderait pas.
Le premier verre, c’était bien toujours le meilleur. Pas tellement pour le goût, même si Darren tentait toujours de prendre ce paramètre en compte, mais il avait tellement l’habitude maintenant qu’il pouvait boire à peu près n’importe quoi de comestible – certains auraient même pu dire qu’il avait le palais brûlé à force d'ingurgiter des verres d'alcool et ce, depuis des années. Non, si le premier verre était le meilleur, c’est parce que lorsqu’il l’avait entre les mains, enfin, lorsqu’il se mettait à le boire et qu’il sentait le liquide couler le long de sa gorge, qu’il se concentrait sur cette sensation, et uniquement cette sensation, il avait l’impression, pendant ces quelques précieuses secondes, qu’enfin ils se taisaient. Ça n’était pas vrai. Bien sûr que ça n’était pas vrai. C’était surtout le fait de se concentrer sur autre chose qui lui donnait cette impression de silence, mais en réalité ils ne partaient jamais. Ils étaient toujours là. Et une fois que Darren avait savouré comme il se devait le premier verre, les premières gorgées d’alcool, ils finissaient toujours par revenir. Par murmurer à son oreille. Par chuchoter à ses côtés. Par se manifester, d’une façon ou d’une autre, pour rappeler leur présence. Ils ne le laissaient jamais en paix.
Heureusement cependant, il arrivait à Darren de parvenir à les ignorer. Cela pouvait durer quelques heures, quelques jours même parfois, où ils se montraient moins insistant, où s’il les entendait un peu, ça n’était qu’un bruit de fond supportable auquel il lui suffisait simplement de s’habituer. Pendant ces heures-là, ces jours-là, même, Darren se sentait un peu mieux. Il ne ressentait pas le besoin de boire, parce qu’il n’avait simplement pas besoin de les chasser. Il se contentait alors de vivre sa vie pendant qu’eux continuaient leur errance, chacun s’ignorant avec la plus grande des applications – du moins application y avait-il de son côté. Mais ces moments de répits finissaient toujours par prendre fin. Et alors ils revenaient. Parfois progressivement, laissant l’angoisse monter à mesure qu’il les entendait. Parfois brutalement, l'assaillant d’un coup sans lui laisser le temps de se retourner. Il ne savait pas quel cas de figure il préférait ; en réalité, il les haïssait tous les deux. Car alors, le seul moyen qu’il avait trouvé pour s’en sortir, c’était de boire. Et de tenter d’oublier.
La journée avait pourtant bien commencé. Le service au club s’était terminé tard dans la nuit, sans client difficile, et Darren avait été tellement épuisé qu’il avait trouvé le sommeil à peine sa tête avait-elle touché l’oreiller, une fois rentrer chez lui. Il avait dormi du sommeil du juste jusqu’à midi, s’était levé plein d’entrain pour sa journée off, s’était occupé de mille choses dans son appartement qu’il repoussait toujours à plus tard. Et puis il était sorti, dans le but uniquement au départ de faire quelques courses. Et puis ils s’étaient manifestés. De manière violente, brutale. Darren avait à peine poussé la porte de l’épicerie de quartier que le présentoir des bonbons à l’entrée s’était mis à trembler, comme animé d’une volonté propre. Et dans ses oreilles, c’est comme si soudain des dizaines et des dizaines de personnes s’étaient mises à hurler !
Darren s’était figé, tout d’abord, sous le choc. Pris d’un violet haut-le-cœur, il n’avait pas bougé pendant de longues secondes. Jusqu’à ce qu’une mère de famille et sa poussette finisse par s’exaspérer de la présence de cet homme étrange qui gênait le passage et lui demande d’un ton sec de bien vouloir se pousser. Retour à la réalité, sans pour autant que les voix ne se taisent. Darren avait alors bredouillé des excuses d’une voix blanche, aussi blanche que son visage qui venait de perdre toutes couleurs, puis avait fait deus pas en arrière, trébuchant presque, avant de s’enfuir loin des lieux. Encore une épicerie où il aurait désormais probablement trop honte pour retourner. Mais ce n’était pas à cela qu’il avait réfléchit. En fait, il n’avait pas réfléchit. Il avait simplement pris ses jambes à son cou et celles-ci, machinalement, l’avait conduit jusqu’à ce bar où il avait ses habitudes depuis plusieurs années maintenant. Un réflexe comme il en avait parfois, qui avait de quoi largement le dégoûter de lui-même quand il avait conscience de ses actes. Mais là, il n’en avait pas conscience. Ou plutôt, il s’en fichait. Tout ce qu’il voulait, en cet instant, c’était un verre. Puis deux, puis trois. De quoi faire taire les voix qui s’étaient réveillées et qui n’arrêtaient plus de le harceler. Par pitié…
Alors il l’avait pris, ce fameux premier verre, celui de la délivrance, même de courte durée. Il en avait savouré chaque centilitre, appréciant de pouvoir se concentrer dessus plutôt que sur les autres. Et puis quand le premier verre n’avait plus suffit, il en avait pris un deuxième. Puis un troisième… Et il s’était arrêté là, pour le moment. Les épaules voutées, presque affalé sur son fauteuil, il tenait son verre pas tout à fait fini entre ses mains. Il avait trop l’habitude d’en boire pour que cela ait un réel effet sur lui à ce stade, à part accentuer sa fatigue. Mais il faisait très certainement peine à voir. Et c’est probablement ce que devait se dire Leigh, qui vient tout à coup d’apparaître à ses côtés, faisant sursauter Darren – pas d’autre effet qu’une fatigue accentuée, hein ? -. Et lui volant par la-même son verre, sans que le barman ne puisse l’en empêcher. « Leigh… » Il y a comme une supplique, dans sa voix, autant que le soulagement de le voir. Il lui a fait peur, oui, et son cœur bat encore de façon un peu désordonné, mais la présence de Leigh à ses côtés est toujours bon signe. Il n’oublie pas comment il l’a sauvé, un jour où la panique s’était saisie de Darren en pleine rue et qu’il n’arrivait plus à se raccrocher à la réalité. Il n’oubliait pas comment l’autre homme était là, depuis, régulièrement présent à ses côtés, présence rassurante qui semblait chasser les voix, ou en tout cas en atténuer les effets néfastes sur l’esprit de l’écossais. Il n’oubliait pas comme avoir simplement sa présence à ses côtés avait un effet rassurant, apaisant… Pourtant, c’est bien dans une plainte qu’il a prononcé son prénom alors que l’autre homme lui a retiré son verre. Et sans se soucier de ce à quoi il a l’air, bien conscient que Leigh l’a vu dans des états pire que celui-ci, Darren laisse tomber son front sur son bras replié sur la table, murmurant à peine assez fort pour que l’autre l’entende : « Alors fais les taire… S’il te plaît… » Cette demande, juste cette demande, peut être la preuve s’il en fallait une d’à quel point Darren est à bout. Parce qu’il ne parle jamais des voix – des fantômes – même à Leigh. Il n’en parle jamais, pour ne pas les rendre réels. Pour ne pas prendre le risque qu’ils viennent les hanter. Mais il n’en peut plus, il n’en peut vraiment plus… Et il a juste envie que Leigh vienne l’aider.
« And if the birds are just all the words flying along, singing a song, what would they do ? If they just knew what they could do. »
Leigh n’était pas un homme qui prend pitié des autres. Il n’est pas là pour juger. Simplement car l’être humain a ses faiblesses et qu’il est extrêmement facile d’y céder. Les blessures, les traumatismes ne sont là que pour les amplifier. Donc quand il aide quelqu’un, il le fait sincèrement et sans jugement. Parce qu’il sait. Parce qu’il est aussi victime de ces dites faiblesses, qu’il combat – littéralement – à sa manière. Tout le monde tente de les combattre, mais on le fait tous différemment, par des moyens sains ou dangereux. Il fallait juste trouver un moyen qui ne nous détruit pas non plus au passage. Mais il est parfois difficile de le trouver tout seul, peut être même impossible, parce qu’il nous faut celui qui nous mettra la claque, celle qui nous réveille et nous remet les pendules à l’heure. Darren ne lui faisait pas pitié, non, ni même ne lui faisait de la peine. C’était juste quelqu’un qui avait besoin d’aide pour arriver à tenir debout et ça ne devrait pas être une honte. Si la vie était facile, ça se saurait. Encore plus quand mort et vivant cohabitent comme ça. Ça a touché des vies, parfois des morts, ça a brisé un équilibre et il faut le retrouver. Certains ont parvenu à s’y faire, d’autre, non.
Et une fois à coté de lui dans ce bar, c’est ce qu’il comptait faire. Il se fichait de le contrarier en prenant son verre d’alcool de dessous le nez. C’est donc sans vergogne qu’il ignore sa plainte et se contente de lui planter sa tasse de café fraîchement commandé sous le nez. Ca serait bien mieux pour lui et lui remettrait un peu les neurones en place. Buvant de son propre café, il soupire un petit temps. Fixe un point ailleurs avant de prendre une inspiration, se préparant alors à lui dire quelque chose, mais il se coupa quand il entendit Darren lui murmurer quelque chose. Leigh fronça les sourcils, se demandant bien de quoi il pouvait parler. Faire taire qui ? Il mit énormément de temps à comprendre parce que Darren ne lui a jamais vraiment expliquer qu’elle était réellement le problème. « De quoi… ? » qu’il s’apprêtait à demander parce qu’il n’y avait pas tant de bruit dans la salle.
Mais il finit par réaliser. Leigh ne les entend plus, les fantômes dans le voile, il a appris à les occulter. Son état de médium n’a jamais été un problème d’une quelque sorte pour lui. Parce qu’il a eu la chance d’avoir sa mère médium, qui lui a tout appris. Il savait que ce n’était pas le cas de tout le monde. Mais avec l’âge de Darren, il avait du mal à imaginer pourquoi il n’avait toujours pas appris à le faire alors qu’il aurait eu toute l’aide à Northwich. Leigh ne savait pas grand-chose sur Darren, il n’osait pas insister sur son histoire, il lui en parlerait quand il en sentira le besoin mais il était du coup difficile pour lui de savoir comment l’aider.
Il ferma donc les yeux pour se concentrer, demanda alors aux âmes de s’éloigner d’eux pour un temps. Ca n’allait pas durer longtemps mais assez pour que Darren soit un peu apaiser, au moins pendant une heure. Une fois fait, il posa sa main sur son épaule et le regarda cherchant le contact par son regard. « Ils ne sont plus là, pour le moment. » qu’il lui indique alors pour le rassurer un peu. Mais il ne pouvait pas juste fermer les yeux, il allait avoir besoin d’un peu plus d’explication cette fois. « Ça fait longtemps ? » qu’il demande d’abord. Mais il completa sa question à la suite : « Que tu as ce problème avec le voile ? Pourquoi tu n’occulte pas ? » Etait-ce la raison de ces maux ? Etait-ce ce qui le noyait depuis tout ce temps ? « Je peux t’apprendre à le faire, mais il va falloir m’expliquer ce qui se passe, Darren. » qu’il lui dit alors. Parce que oui, il est près à l’aider, à tout lui apprendre ce qu’il sait, gratuitement et volontairement. Mais il doit aussi être ouvert à lui parler, sinon ça ne marcherait pas totalement.
