Donovan Thyrnburg ☽ Everybody knows death creeps in slow

A quelques minutes d’écart, toutefois suffisantes pour les séparer d’un mois entier, deux hurlements annoncèrent l’agrandissement de la famille Dubhghaill. Pas franchement attendu, pas beaucoup plus désiré. C’est qu’un couple de bouches à nourrir en plus, ce n’est pas pour ravir tout le monde.
Et ça ne l’est clairement pas quand on est déjà nombreux à vivre au jour le jour, entassés dans l’insalubrité. Alors on avait fait avec ce que l’on avait alors sous la main. Mai et Juin, ça ferait bien l’affaire après tout.

On avait bien vite trouvé une utilité à ces enfants ; deux bouilles d’amour ça attendrit le chaland, finalement c’est une distraction parfaite pour lui faire les poches. Ce n’était pas non plus comme si la méthode n’avait jamais été testée et approuvée par la famille génération après génération.
Escrocs, arnaqueurs, voleurs, ils se partageaient les tares et s’échangeaient les combines de géniteurs à rejetons. C’était une affaire bien rodée, qui ne leur permettait certes pas une vue de luxe et d’oisiveté mais au moins ils étaient libres. Enfin, ça, c’est ce que cette famille tentaculaire se plaisait à rabattre à ses plus jeunes du matin au soir. Matraquage de cerveau. S’assurer que les crimes de leur nom ne se perdent pas, jamais. Visiblement, ça fonctionnait.

Sauf quand ce n’était pas le cas.
Ne jamais s’être quittés depuis qu’ils étaient dans le ventre de leur mère n’était pas suffisant pour que les deux jeunes gens soient identiques en tous points. L’un commença à exercer l’agilité de ses doigts tandis que l’autre répugnait de plus en plus de cette vie et refusait tant que faire se peut de prendre part aux actions qu’on attendait de lui. Ca ne tarda pas à se voir. Ca faisait mauvais genre.
C'était si indigne et répugnant, et il aspirait à tellement mieux. Tellement plus.

Aindy savait que quelque chose n'allait pas, Aindy savait toujours avant tout le monde. C'était comme ça entre eux, une évidence qui n'avait pas besoin d'être verbalisée. Et celle-ci était peut-être la seule chose qu'ils redoutaient tant l'un que l'autre d'évoquer. Les implications étaient trop grandes.

C'est quand il arriva malheur au cousin Cole que Donovan sentit définitivement quelque chose se briser. À peine plus vieux que la paire, ç’avait pour ainsi dire été leur chaperon. Aindrea était celui qui avait le plus profité de son apprentissage, mais son frère ne pouvait pas nier avoir apprécié Cole lui aussi.
Et maintenant, on l’avait remplacé ?
Comme tous, il n’était pas étranger au concept des esprits et des possessions qui pouvaient en résulter, mais jusque-là les seuls médiums qu’il avait toujours connus n’avaient été que des charlatans. Etre témoin en première ligne d’un phénomène pareil, ça n’avait rien à voir avec la théorie de ses cours.
Le pire, c'était que la famille au complet l'avait accepté. Un vol d'identité complet. Sous couvert d'amnésie, Cole n'était plus Cole. Le roi des rues était devenu un as de l'arnaque en ligne. Et tout le monde l'avait accepté. Comme ça.

« … mais si un jour tu l'fais, s'teuplait, me laisse pas comme ça sans un mot. »

C'était sûrement le choix le plus compliqué de toute sa vie. Sans Cole, il n'aurait même sûrement jamais eu le courage de passer le pas.

Donovan n'avait que quinze ans quand c'était arrivé mais il savait qu'il ne pourrait pas passer une nuit de plus sous le même toit que ce voleur. Alors il fugua. Un matin il partit à l'école et n'en est jamais revenu.
L'avantage, c'était qu'il savait que les Dubhghaill n'iraient jamais de leur plein gré à un poste de police. L'inconvénient étant que malgré toutes leurs tares on ne pouvait leur enlever qu'ils avaient le bras long et connaissaient beaucoup de monde qui connaissait du monde qui… Il était question de ne pas se faire retrouver.

Il prit refuge chez un ami d'Edimbourg, dont les parents désolés de sa situation l'aidèrent à entamer les démarches pour une demande d'émancipation. Le temps que le dossier se crée, il avait seize ans et était désormais majeur -la demande juridique se mua en changement de nom. Les Dubhghaill étant tristement connus des services écossais, justifier ses motivations ne fut pas très compliqué. Thyrnburg était né ; son prénom ne tarderait pas à suivre.
Changé d'école à son nouveau lieu de résidence, il enchaîna en parallèle les petits boulots pour se payer le premier taudis venu.

Déjà un bourreau de travail à cette époque et soucieux de prouver à l'univers entier qu'il saurait s'en tirer, les temps ne furent pas des plus reposants, mais il ne s'en tira finalement pas si mal. Quelques années plus tard, endetté jusqu'au cou par un prêt étudiant et subsistant toujours grâce à des jobs ingrats, il entrait dans une école de communication et marketing.
C'est là qu'il rencontra pour la première fois des pro-vie. Pour la première fois, il pouvait aborder ouvertement le sujet des revenants avec des personnes qui partagaient son avis. C'était une forme de libération.

De ces mouvements, il découvrit un monde secret dont il ne soupçonnait même pas l'existence mais qui ne lui semblait finalement pas si inconnu. Ils traquaient tous les revenants, s'en prenant à l'obsidienne des uns et cherchant à exorciser (comme ils le disaient) les autres. Parfois sois le nez et la barbe des forces de police, parfois avec leur concours.
Donovan aurait dû haïr ce sentiment de familiarité.

Il l'embrassa à bras ouverts.

Les actions qui n'étaient pas motivées par simple vandetta personnelle étaient payées, ce qui était un bonus qui n'était pas pour lui déplaire. Autant dire que son salaire officiel faisait pâle figure à côté.
Les exorcismes étaient bien évidemment les plus compliquées ; les médiums de quatrième rang ne courent pas les rues, encore moins ceux prêts à se salir les mains pour quelque chose de si risqué. C'est à ce moment que le jeune homme commença à dresser une liste de médiums volontaire, ainsi qu'une de potentielles recrues. Les approcher subtilement pour avoir leur avis sur le sujet ne serait pas une mince affaire, mais tout vient à point à qui sait attendre.

Et l'opportunité rêvée se présenta lorsqu'il finit ses études et décrocha son premier poste au département planning-stratégique d'une entreprise spécialisée dans l'accompagnement de familles endeuillées pour trouver le médium qu'il leur faut ; que ce soit pour effectuer le Rituel de Rattachement ou une simple séance de spiritisme.

À dire vrai, lorsqu'il rencontra pour la première fois de lui-même un médium facile à séduire par les idéaux anti-Sovning Sinn, il en fut le premier surpris. Puis ravi, mais surpris quand même. Ainsi sa nouvelle vie commença.
S'il ne s'était interdit d'y penser, l'ironie de sa situation l'aurait sûrement fait rire. Quitter une vie dans l'ombre pour s'en créer de lui-même une nouvelle. Il était bien plus doux de justifier tout cela par de belles convictions que ne penser qu'à l'appât du gain. C'était simplement un bonus très plaisant.

D'autant plus motivé par son métier, Donovan avait une crainte presque paranoïaque que ses affiliations avec les mouvements pro-vie soit révélée au grand jour, aussi prenait-il toutes les précautions du monde ; pour une fois les apprentissages de sa famille se révélèrent utiles.
Il débuta également une correspondance épistolaire (usant d'un faux nom et d'une autre boîte postale que la sienne) avec The Living Society à Northwich, société la plus fameuse à travers l'Écosse.

C'est ce qui motiva, alors qu'il approchait de la trentaine, son déménagement dans la ville tristement célèbre.
Il songeait depuis quelques temps déjà à lancer sa propre agence de communication, maintenant qu’il était débarrassé de son prêt étudiant -pas forcément de manière parfaitement légale, mais qui s’en soucie.
Nouvelle ville, nouveau départ ? Ça lui avait bien réussi jusqu'à présent.

Et le temps prouva que cela lui réussissait toujours ; sans être gargantuesque non plus l’agence pris suffisamment d’ampleur pour qu’il puisse en vivre confortablement (et ses relations n’ont bien sûr rien à voir dedans) et l’insomniaque bourreau de travail qu’il est toujours se dégagea même du temps afin de s’engager dans la politique de la ville. C’est bon pour les apparences, voyez-vous. Son entrée au conseil municipal se fit sans trop de bruit, celle sur la liste des adjoints au maire un peu plus -tout le monde n’aimait pas qu’un "marketeux" se retrouve en politique. De fil en aiguille, cela ne l’empêcha pas de se retrouver dans les petits papiers des bonnes personnes, jusqu’à aujourd’hui être premier adjoint ; en charge des délégations sur les revenants, la culture et les archives municipales.
La culture, c’est un plus qui l’amuse. Les revenants et les archives municipales en revanche ? Voilà deux pôles auxquels il prête beaucoup d’intérêt, qui lui permettent encore et toujours d’allonger ses propres listes, même si le premier implique qu’il doive prétendre s’inquiéter des disparitions récentes de plus en plus de Vaken Sinn.
Oh, non, bien qu’il soit plus précautionneux (voire paranoïaque) que jamais à ce sujet, il n’a jamais cessé ses activités les moins reluisantes.

En fait, à peine arrivé à Northwich il avait concrétisé ses relations avec The Living Society, tout en se rapprochant du Black Cat Club pour faire bonne figure. Il se peut que ces relations furent un grand appui pour sa carrière.

Mais tout ne peut pas toujours filer comme on l’espère. En fait, ses pensées sont même très agitées depuis quelques mois. Quelle ironie… Il avait fallu que, de tous, ce soit Cole (enfin, plutôt son voleur) qui parvienne à remonter sa piste. Ce rat n’était pas leur prodige des nouvelles technologies pour rien.
Il n’avait pas cherché à le joindre directement, mais le court mail que reçut Donovan d’une adresse bidon était toute la menace dont il avait besoin. Une seule phrase. Suffisante pour faire exploser tout ce qu’il avait enfoui depuis son adolescence.

Aindy est mort.