Fear, the robber |Feargus

Non.

Juste.

Non.

Peu importe la raison, c’était non. Il n’avait rien à faire là, rien à faire avec lui et, surtout, il n’en avait rien à faire.

Aussi, à peine Donovan eut il le dos tourné qu’Aindrea s’était éclipsé. Il avait essayé, il ne pouvait pas partir loin, pas définitivement, pas comme il voulait en tout cas, et il n’avait pas la moindre idée d’où il était, mais globalement, comme c’était un humain croisé rat, -quoi qu’en fait il n’était plus vraiment humain, pas vrai ?- il n’avait aucun mal à trouver son chemin n’importe où, donc il décida de faire un peu de repérage. Le quartier pavillonnaire dans lequel il se trouvait actuellement n’offrait que peu de distraction, donc il décida de suivre le bruit. Il ne manquait pas d’argent, il en avait subtilisé dans le portefeuille de ce qui fut son frère, il avait de toute façon jugé que ce dernier en avait trop. Donc, pour suivre, il avait choppé le premier bus venu qui passerait dans le centre-ville et il y en avait encore quelques un malgré le début de soirée qui s’annonçait.  

Après quoi, le temps avait été à se remémorer les lieux, analyser les places, scruter les bâtiments et trouver ce qu’il cherchait : De l’attention.

Dix minutes plus tard, le voilà au milieu de la place à commencer son numéro, quelques petites mises en bouche comme battre les cartes, rien que ça attirait déjà les gens, simplement parce qu’il avait l’art et la manière de les rendre attractives d’un simple geste. Les enfants d’abord, qui tiraient la main de leurs parents pour venir plus près, et peu à peu, une petite foule compacte se forma autour d’Aindy qui paradoxalement se sentit revivre à ce contact si familier et si normal.

« Bonjour à tous ! » Scanda-t-il donc avec entrain. « Aujourd’hui, je vais vous proposer quelque chose d’hors du commun, quelque chose qui va vous fasciner, du jamais vu ! Mais pour ce faire il me faut un volontaire, est-ce que quelqu’un parmi vous va bien vouloir participer ? »

Là, il scruta longuement et faussement la foule à la recherche du "volontaire parfait" bien qu’il sache déjà sur qui il allait jeter son dévolu, et c’est une jeune femme qu’il sélectionna d’un geste du doigt.

« Vous, mademoiselle, si vous voulez bien me faire le plaisir…Approchez, n’ayez pas peur ! » L’encouragea-t-il avant de se poster face à elle, tenant le jeu de carte face vers le sol. « Je vais faire défiler le jeu et vous allez tenter de repérer une carte » Il leva légèrement le paquet. « Pas la première, ça serait trop facile. »

Et lorsqu’il fut assuré de bien avoir l’attention de la jeune femme mais aussi de toute l’assemblée, il commença à faire défiler les cartes d’un geste du doigt. Lorsqu’il eut terminé, il fronça un peu les sourcils. « Trop rapide…On recommence. » Précisa-t-il en relançant la manœuvre.

« C’est bon ? Vous en avez repéré une ? » Demanda-t-il, ce à quoi la jeune femme approuva d’un signe de tête. Alors, Aindy déploya le jeu pour lui montrer toutes les cartes.
« Est-elle là-dedans ? »
« Non… » Répondit la femme, peut-être un peu déçue main intriguée. Aindrea, lui, sourit d’un air entendu.
« C’est parce que vous regardez de trop près. Plus vous êtes près, moins vous en voyez. » Annonça-t-il en jetant les cartes en l’air, attirant ainsi l’attention vers l’hôtel de ville dont les lumières s’étaient en partie éteintes. Celles qui étaient restées allumées affichaient à présent les contours du 7 de trèfle. Et les cris et applaudissement qu’il entendit ne faisaient aucun doute, c’était bien la carte. Il sourit, satisfait, alors qu’il profitait de l’attention tournée vers le bâtiment pour faire les poches des spectateurs les plus proches d’une main légère et discrète. Quand la clameur retomba, il s’inclina.

« Merci à tous pour votre attention ! » Scanda-t-il à l’assemblée alors que les lumières du bâtiment public reprenaient leur comportement normal. D’ailleurs, c’est par là qu’il se dirigea, laissant les cartes au sol, il avait plus d’un jeu dans sa main.

Feargus s'habituait de plus en plus à sa nouvelle vie. À son nouveau corps.
Les attaques de panique s'espaçaient de plus en plus, et même s'il n'était toujours pas tout à fait habitué aux particularités de ce nouveau millénaire, au moins avait-il arrêté de s'inquiéter chaque fois qu'il rencontrait quelque chose d'inconnu. Du moins la plupart du temps. Les voitures, elles, continuaient d'être une source d'angoisse permanente.

C'est pour cette raison qu'il aimait d'autant plus se rendre au centre-ville ; là au moins l'hyper-centre était une zone essentiellement piétonne et, même si le risque de se faire renverser en chemin existait bel et bien, il était amoindri une fois arrivé à destination. Et puis l'architecture était belle, il fallait bien dire qu'elle ne ressemblait à rien de tout ce qu'il avait toujours connu à l'est du pays et, pour l'instant du moins, il ne s'en lassait pas.

Il avait très vite repris ses vieilles habitudes d'oiseau de nuit, et il fallait aussi dire que la vie nocturne de Northwich n'était pas pour lui déplaire -bien qu'il n'ait encore jamais pris part à de vraies sorties avec d'autres personnes. Il y avait bien eu un bénévole ou deux qui l'avait déjà invité par politesse, mais jusque-là il avait préféré décliner, ne se sentant clairement pas prêt à vivre une chose pareille.
Et les soirées avaient également l'avantage non négligeable de ne pas fatiguer ses yeux comme le soleil avait la mauvaise habitude de le faire. Ce qui ne l’avait pas empêché de sortir muni de ses précieuses lunettes de soleil, car il avait déjà appris à ses dépends que le crépuscule ne lui laissait pas non plus le moindre répit.

Le début de sa routine était devenu assez habituel, puisqu’il avait malgré tout toujours besoin d’un semblant de schéma habituel pour ne pas se sentir trop déphasé. Il s’était rendu à ville à pieds, s’était arrêté au salon habituel pour boire une tasse de thé avant sa fermeture (et s’il s’agissait du même que celui où l’avait repêché Edan, ce n’était bien sûr que parce qu’il était excellent), avant de retourner flâner dans les rues sans objectif particulier. Certains soirs, il avait la chance de croiser des artistes de rue ou toute autre animation qui puisse animer sa balade, d’autres il se contentait de marcher. Habituellement, ce programme lui convenait.

Ce soir, par chance, tandis qu’il passait à proximité de l’hôtel de ville un attroupement retint son attention. Il n’eut pas besoin de se frayer un long chemin à travers la foule pour pouvoir voir ce qui retenait tant son attention, car la grande taille de son hôte était dans ces circonstances un sacré atout.
En l’occurrence, c’était un spectacle qu’il n’avait que rarement eu l’occasion de voir ; de son vivant comme de sa non-mort. Une raison de plus pour y rester scotché, réagissant avec presque autant d’enthousiasme aux tours du magicien que les enfants en première ligne. Et définitivement avec beaucoup de tristesse de ne pas avoir été choisi pour participer à la place de la jeune femme.

Malheureusement, le spectacle se termina bien vite, et Feargus resta quelque peu désemparé tandis que les gens se dispersaient (quoi qu’occupé à slalomer entre eux). En fait, le revenant n’avait pas envie de le laisser partir comme ça. Il avait une question. Il fallait absolument qu’il la lui pose. Elle aurait sûrement paru folle de son temps, mais aujourd’hui avec tout ce qu’il avait appris depuis son réveil ? Eh bien, pourquoi pas ? Il semble qu’on ne soit jamais à l’abri d’une surprise.
Le revenant s’empressa de ramasser les cartes au sol, surveillant avec attention que le magicien ne disparaisse pas de son champ de vision, puis le rejoignit à grandes enjambées dès qu’il lui sembla avoir tout récupéré.

« Attendez ! »

Le hâla-t-il, dès qu’il fut quelques pas derrière lui.

« Vous avez oublié ça. » Continua-t-il la main tendue, les cartes présentées sur sa paume ouverte.

Il pencha légèrement la tête sur le côté, observant la réaction de son interlocuteur à son “oubli”. Cette époque le rendait naïf, certes, mais pas encore suffisamment pour qu’il ne se doute pas qu’il ne s’agissait pas du tout d’une telle chose. Disons que c’était un point d’accroche à la discussion comme un autre, de toute façon.

« C’était un très beau spectacle que vous avez fait. Et vous avez une excellente élocution. Vous vous représentez souvent ? » Après tout, il n’avait aucune idée de si son visage ou son nom (qu’il n’avait de toute façon pas) était censé lui évoquer quoi que ce soit. Il avait certes un but précis pour engager la conversation, mais il ne comptait pas non plus la poser de but en blanc. Maintenant qu’il avait quelque peu repris ses esprits, il était un peu plus fin que ça.

Lorsqu’on l’alpagua, Aindrea grimaça. En général, lorsque c’était comme ça, c’est qu’il devrait s’apprêter à courir, et il n’avait pas tellement envie de courir, là, tout de suite. Néanmoins, plutôt que de pleurer avant d’avoir mal, il se retourna. De toute façon il ne risquait plus rien. Il fronça les sourcils en voyant ce qui venait vers lui. Un homme de grande taille mais fin comme une brindille, il lui donna immédiatement des airs de serpent, surtout fagoté dans tout ce cuir. Du pantalon à la veste, c’était, semble-t-il, presque une ligne de conduite. Tout était trop serré pour y glisser les mains, et Aindy allait se retourner pour l’ignorer. Vu d’ici, même s’il portait des lunettes de soleil, il ne semblait rien avoir de valeur sur lui, les poches n’étaient pas déformées à cause d’un éventuel portefeuille ou téléphone qui, si présents, devaient se trouver dans les poches intérieures de sa veste, collés à son torse, rien qui ne lui permettait d’agir discrètement, d’ailleurs c’était pour ça qu’il ne lui avait pas fait les poches car, oui, il l’avait bien remarqué assister à son numéro.

Mais, soudain, alors qu’il levait la main droite pour présenter les cartes, la lumière de la rue redevenue normale fit luire quelque chose sur son poignet gauche. Un cadran de montre. Il baissa les yeux pour la regarder. Elle ne semblait pas si luxueuse que la montre Suisse sur mesure qu’il portait lui-même actuellement, mais elle n’avait quand même pas l’air mal.

Alors il s’arma de son plus grand sourire en traversant les quelques mètres qui le séparaient encore de l’inconnu pour qu’il n’ait pas à venir lui-même vers lui.

« Oh, oui, je sais, j’ai laissé les cartes, ce n’est pas très écologique, je voulais juste finir mon numéro avec panache, vous avez l’air connaisseur, vous savez donc que la sortie est aussi importante que l’entrée, et les enfants adorent les récupérer en général. Mais merci de l’avoir fait ! » Dit-il en tendant la main, le dos en l’air, pour saisir le paquet qu’il ramena à lui et commença à battre machinalement. Il fronça les sourcils. « Oh mais attendez, il en manque une. » Annonça-t-il faussement perplexe avant de lancer la main pour tirer la fuyarde de derrière l’oreille de l’inconnu, le 7 de trèfle, qu’il lui montra avant de la ranger avec les autres qu’il continuait d’agiter et mélanger.

Le compliment le fit sourire. Tiens, dans tes dents, Donovan. Mais ça le rendait un peu mélancolique et il soupira, usant cette fois de la pitié qu’il pouvait rapidement faire ressentir.

« Merci beaucoup, c’est un honneur.  Mais…J’ai eu l’habitude, je suis pour ainsi dire…A la retraite. Une retraite anticipée. Ça ne m’empêche pas d’encore essayer de faire sourire les gens. Vous savez, à notre époque, les gens ne prennent plus le temps d’être émerveillés, c’est triste, vous n’êtes pas d’accord ? »

Feargus retint (ou peut-être pas ? Il n'était pas encore parfaitement à l'aise avec les expressions de son corps) un haussement de sourcil interrogateur lorsque le prestidigitateur lui parla d'écologie. Ce n'était pas le premier mot inconnu qu'il rencontrait depuis son réveil, malheureusement cette fois-ci le contexte ne lui permettait absolument pas de comprendre de quoi il s'agissait, et il ne s'imaginait pas en demander la signification à un inconnu. Il se le nota dans un coin de sa tête, avec pour but de la chercher plus tard. Sait-on jamais.
Il s'apprêtait à lui répondre que, non, il n'y connaissait rien, il se débrouillait juste bien avec les mots de son côté, lorsque l’étranger envoya sa main envahir son espace personnel. Le revenant se figea derechef, prêt à s’esquiver au moindre risque de contact physique, heureusement il se retira aussitôt avec le sept de trèfle entre les doigts. S’il n’était pas aussi tendu que la corde d’un arc, il aurait sûrement montré quelque signe d’excitation au retour de la fameuse carte.

Il prit une profonde inspiration et profita de son souffle pour forcer à son corps de se détendre. S’il y avait une chose qu’il n’avait pas mis beaucoup de temps à lui apprendre, c’était bien la crainte d’être touché.

« Elle en aura vécu des aventures, cette carte. » Ajouta-t-il finalement avec un sourire lorsqu’il se sentit prêt à parler sans trop de risque. « Malheureusement je n’y connais rien en magie et je n’ai jamais eu l’occasion d’en voir beaucoup de spectacles. J’irai m’excuser auprès des enfants qui n’ont pas eu le paquet si d’aventure je les recroise. » Finit-il avec un brin de malice.

La suite attisa un peu plus sa curiosité. Il avait l’air jeune -clairement plus qu’Angus- pour tenir un tel discours et il fallait bien dire que Feargus mourrait d’envie de lui en demander plus. Il avait toujours eu quelque curiosité morbide pour tout ce qui s’apparentait à une histoire tragique… Elles font les meilleurs contes après tout.
Mais il était encore trop tôt pour pousser le sujet, dommage.

« Oh, vous savez… J’ai connu un temps où il était presque impossible de trouver le moindre sujet de distraction. Parfois, ça pouvait même vous coûter la vie. » Il pencha légèrement la tête, un sourire prétendument nostalgique aux lèvres. Peut-être bien qu’il venait de trouver une façon bien plus amusante d’évoquer sa vie d’antan. « Au final je vous trouve plutôt bien lotis, vous ne manquez pas d’activités où que vous soyez. »

Oh, oui, en attendant qu’il soit suffisamment confiant en ses souvenirs (et surtout capable de les évoquer sans déclencher une nouvelle crise) pour en faire autre chose que les ressasser, ça pourrait être amusant. Il fallait qu’il teste ça avec Edan à l’occasion, juste pour voir sa réaction.

« En fait, je me posais une question… Avec toutes ces histoires de fantômes et ces évènements étranges… Est-ce que vous êtes réellement un magicien ? »

Eh bien…

Ça alors…

C’est ce que se disait Aindrea alors qu’il observait l’étrange personnage dégingandé qui conversait avec lui son discours était curieux, il semblait hors…Du temps lui-même et c’était vraiment très étrange. Il passa un moment silencieux à l’observer de haut en bas, analysant le moindre détail de tout. Et, soudain, il comprit.

« Pardon, j’allais vous demander si vous veniez d’un pays du Tiers Monde, mais avec votre accent il ne fait pas d’doute que vous êtes Ecossais. Vous êtes soldat ? Peut-être que vous revenez d’un pays en guerre ? » Avança-t-il. « C’est vrai qu’on passe notre temps à s’plaindre alors que finalement on est pas si mal lotis ici, vous avez raison. »

Corrigea-t-il humblement. Il savait s’adapter à la tête du client et retourner sa veste lorsque c’était nécessaire, aussi agit-il sans la moindre transition. Son but était avant tout de ne pas faire fuir la cible ferrée. Mais celle-ci changea de sujet d’elle-même pour poser une autre question.

Là, Aindrea dut se forcer pour ne pas vraiment rire, moqueur, mais il laissa quand même échapper un grand sourire.

« Je devrais vous dire qu’un magicien ne révèle jamais l’astuce de ses tours, mais, non, je ne suis pas un vrai magicien comme les histoires l’entendent. Ce tour là était aussi simple que de graisser la patte du machiniste qui s’occupe des éclairages de l’hôtel de vile à l’aide d’un gros billet. Mon métier est simplement de m’appuyer sur l’attention des gens, rien d’extraordinaire là-dedans… » Une pause et… « Mais maintenant que vous le mentionnez, je ne suis pas vraiment magicien, par contre je suis bel et bien un fantôme. » Largua-t-il comme une bombe.

Donovan ne lui avait jamais dit, malgré toute la liste de choses à faire, de dire qu’il était un Vaken Sinn et c’était bien dommage car Aindrea aurait eu encore plus de plaisir à l’avouer s’il le lui avait effectivement interdit.

« Quelque chose comme ça, oui. »

Se contenta de répondre Feargus, interdit, suite aux suppositions du prestidigitateur. Perspicace. L’entière vérité était bien trop improbable pour qu’il en devine les moindres détails, mais les grandes lignes étaient suffisamment proches de ses dernières années de vie pour en impressionner le revenant.
Surpris, oui, mais également quelque peu déçu. Il ne savait pas trop quelle réaction il avait cherché à provoquer, mais quelque chose de moins… sérieux, peut-être ? Est-ce que même la façon d’aborder les contacts sociaux avait changé en un siècle, ou c’était lui qui était rouillé ? Honnêtement, il ne savait pas trop quelle réponse il aurait préféré.

Et la suite fut encore plus décevante. Pas de banshees avérées, pas de magie au sens propre du terme. A ce sujet, on pouvait dire qu’il allait de déception en déception (et, non, ce n’était pas lui qui en attendait trop). C’en était presque ennuyeux, un peu de se fantasmes existait bel et bien, mais définitivement pas assez. En fait, ça rendait presque les choses pires : au moins, quand il n’y avait aucune preuve tangible de l’existence d’une chose ou l’autre, croire en tout était simplifié.
Mais il n’eut pas le temps de s’apitoyer sur son triste sort, que la dernière phrase le fit rebondir derechef :

« Oh ? Vous aussi ?! » Rebondit-il avec enthousiasme, jubilant presque. « Vous êtes le premier que je rencontre ! » Puisqu’évidemment il ne pouvait pas exactement se rencontrer lui-même. Même si, d’une certaine façon, il avait quand même dû le faire… Enfin, ce n’était pas vraiment lui, lui, mais… Bref.

Après tout, si tous les habitants de Northwich lui répétaient inlassablement que pour eux en croiser était chose aussi courante que se brosser les dents le matin, pour lui c’était tout aussi peu le cas que le deuxième point l’avait été de son vivant.

« Je commençais à vraiment croire qu’on est moins nombreux que tout le monde le dit. Ou alors c’est bien le cas, et j’ai simplement de la chance de tomber sur vous ? Oh, peut-être que ça ne se dit pas trop habituellement, en fait... »

Chassez le naturel, il revient au galop. Il n’était encore qu’un jeune impétueux de même pas trente ans, curieux de tout et avide de tout savoir après tout.

En temps normal, Aindy aurait lourdé quiconque se mettait à parler aussi vite et autant, mais là il resta coi devant l’inconnu. Il n’était plus tellement habitué au…Monde…Il aurait sans doute besoin d’encore plus de temps, mais là il était un peu fasciné par ce qu’il avait sous les yeux, tant d’expressions qui passaient dans ce visage et en même temps ça sonnait faux comme si le visage en question…

Et il y avait cette étrange aisance à parler comme un putain de moulin, sans jamais trop lui laisser le temps d’en placer une, comme un gamin curieux, ce qui ne collait pas vraiment avec le physique du personnage en face de lui. Bien sûr, Aindy n’était pas le seul à avoir ses secrets, mais ça ne semblait pas en être un pour l’inconnu qui continuait à lui raconter sa vie, ou plutôt son absence de vie, sans réellement le faire. Tout était dans le sous texte et c’est ce qu’Aindrea préférait déceler, il avait la flemme d’écouter tout ce qu’il lui disait de toute façon. D’ailleurs, quand ça sembla un peu se tarir, il laissa échapper un sourire en coin.

« Tu t’arrêtes jamais, j’me trompe ? » Laissa-t-il échapper lorsqu’il eut enfin une ouverture. Oui, le tutoiement était venu très naturellement, à force d’habitude, d’ailleurs il ne fit même pas mine de le remarquer.

« Écoute, je suis revenu y’a deux ou trois jours, et pour être honnête j’en avais vraiment pas envie, alors j’me suis pas renseigné plus que ça sur combien on est ni si c’est normal de s’croiser et d’en parler comme si c’était tout à fait anodin, j’ai jamais cotoyé de revenant à part un que j’considère pas du tout comme ça, d’ailleurs ça me fait penser…C’est pas ton corps, hein ? Ça s’voit à ta façon de bouger et surtout à tes expressions de visage. On dirait qu’t’es coincé dans une toile trop grande, c’est ça ? »

Demanda-t-il en battant toujours les cartes par pur réflexe, il n’avait jamais su s’empêcher de faire quoi que ce soit de ses mains. Pendant ce temps il observait. Mouais, il ne payait pas de mine, son « client » du soir, et pourtant y’avait un truc dans son regard, quelque chose qui l’intriguait, d’une part, et l’attirait d’une autre, peut-être qu’il pourrait en tirer quelque chose, et il ne parlait pas là de son portefeuille.

« J’m’appelle Alistair, au fait, toi c’est comment ? » Se présenta-t-il donc. Bon, ça aussi c’était faux, mais Aindy c’était pour les intimes, et on n’en était même pas encore à Aindrea. Des noms, il en avait plein, et il s’était choisi une identité toute fraiche pour trainer par ici, de toute façon il n’avait jamais été avide de papiers d’identité officiels.

« Tu t’arrêtes jamais, j’me trompe ? »

Feargus s’arrêta, souriant légèrement, la tête quelque peu penchée sur le côté. Ca, c’était quelque chose qu’il connaissait. Un reproche qu’on lui avait souvent adressé -sur le ton de l’amusement ou de la colère selon les gens- et bien la seule chose dont il ne s’était jamais excusé. Ca avait quelque chose de ce goût de chez soi, retrouver une chose pareille. Il n’aurait pas cru que ça lui avait tant manqué.

« Non, pas facilement en tout cas. » Répondit-t-il sur un ton plus doux, définitivement moins rapide.

Une fois encore, il fut surpris de la rapidité d’analyse du prestidigitateur. Les longues heures nocturnes passées au cabaret à observer les gens ne lui avaient jamais permis de faire autre chose que des suppositions sans grand fondement, auxquelles il n’avait jamais pu demander la moindre confirmation. Et quand bien même il y aurait trouvé quelques fonds de vérité, il doutait que même dans ses meilleurs jours il y soit arrivé aussi rapidement.

« J’ai gagné environ… » Il plaça l’une de ses mains au niveau de son torse, représentant approximativement la vingtaine de centimètres qui le séparait de son corps d’origine. « Tout ça. Et perdu tous mes repères au passage, même si j’arrête enfin de me cogner à tous les coins de table… la plupart du temps. Je suppose que j’ai au moins de la chance de garder à peu près la même corpulence. » Finit-il en observant ses avant-bras à demi tendus devant lui, comme s’il les découvrait à nouveau pour la première fois. Ca, et des cheveux roux. Mais il n’avait pas nécessairement besoin de le dire. Quand est-ce qu’il se déciderait à les laisser pousser d’ailleurs ?

Cette fois, il n’hésita pas lorsqu’il fut question de se présenter. On n’en était pas encore au réflexe de toute une vie à porter le même nom, mais ce n’était l’affaire que de quelques rencontres encore. Amusant, comme changer cette identité-ci avait été simple.

« Feargus, enchanté. » Evidemment il ne tendit pas la main pour accompagner le geste à la parole, et chercha plutôt à les enfouir au fond de ses poches -avant de se souvenir que les pantalons d’Angus étaient impossiblement trop serrés pour pouvoir y fourrer quoi que ce soit. « Alors, en deviner le plus possible sur les gens, ça fait partit du métier aussi ? »

En vérité, la curiosité lui brûlait la langue. Après tout, si elle a tué le chat la satisfaction l’a ramené à la vie. Est-ce que c’était trop tôt pour demander ? Oui, définitivement. Est-ce qu’il allait quand même se résigner à écouter la voix de la raison ? … Allons bon.

« Tu es un Vaken Sinn, alors ? J’étais persuadé qu’il est presqu’impossible de faire revenir quelqu’un contre son gré. Enfin, c’est ce que m’ont raconté les bénévoles quand ils m’ont expliqué tout ça, je suppose que même avec leur implication ils peuvent difficilement être au courant de tout. »